Les huitres d'ostende bel ami
Les huîtres d'Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites
oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des
bonbons salés,
Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille ; et les
convives commencèrent à causer.
On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise,
par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier.
Forestier riait beaucoup de l'aventure ; les deux femmes déclaraient que le bavard indiscret
n'était qu'un goujat et qu'un lâche. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme
a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple témoin, un
silence de tombeau. Il ajouta :
"Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discrétion
absolue les uns des autres. Ce qui arrête souvent, bien souvent, presque toujours les
femmes, c'est la peur du secret dévoilé."
Puis il ajouta, souriant :
"Voyons, n'est-ce pas vrai ?
"Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient à un rapide désir, au caprice brusque et violent
d'une heure, à une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale
irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur !"
Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaidé une cause, sa cause,
comme s'il eût dit : "Ce n'est pas avec moi qu'on aurait à craindre de pareils dangers.
Essayez pour voir."
Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et
juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisiennes n'aurait pas
tenu longtemps devant la certitude du