Les liaisons dangereuses, lettre 33 par laclos
Dès que vous craignez de réussir, mon cher vicomte, dès que votre projet est de fournir des armes contre vous, et que vous désirez moins de vaincre que de combattre, je n’ai plus rien à dire. Votre conduite est un chef-d’œuvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire ; et, pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion.
Ce n’est pas de n’avoir pas profité du moment que je vous reproche. D’une part, je ne vois pas clairement qu’il fût venu ; de l’autre, je sais assez que, quoi qu’on en dise, une occasion manquée se retrouve, tandis qu’on ne revient jamais d’une démarche précipitée.
Mais la véritable école est de vous être laissé aller à écrire. Je vous défie de prévoir à présent où ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu’elle doit se rendre ? Il me semble que ce ne peut être là qu’une vérité de sentiment, et non de démonstration ; et que pour la faire recevoir, il s’agit d’attendrir & non de raisonner ; mais à quoi vous servirait d’attendrir par lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter ? Quand vos belles phrases produiraient une ivresse assez forte pour décider cette femme, vous flattez-vous qu’elle soit assez longue pour que la réflexion n’ait pas le temps d’en empêcher l’aveu ? Songez donc au temps qu’il faut pour écrire une lettre, à celui qui se passe avant qu’on la remette ; et voyez si, surtout une femme à principes comme votre Dévote, peut vouloir si longtemps ce qu’elle tâche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec des enfants, qui, quand ils écrivent : je vous aime, ne savent pas qu’ils disent : je me rends. Mais la vertu raisonneuse de Mme de Tourvel me paraît fort bien connaître la valeur des termes. Aussi, malgré l’avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive ? par cela seul qu’on dispute, on ne veut pas