Les malaises de la jeunesse française et européennes
Contrairement à ce qu'en pensent ses détracteurs, qui ont toujours un jeu facile lorsqu'ils interprètent des mouvements dénués de véritable porte-parole, la mobilisation des lycéens et des étudiants contre la réforme des retraites en France n'a rien d'une manipulation du Parti socialiste ou du corps enseignant ; elle est l'expression du malaise diffus d'une génération qui ressent, certes obscurément mais certainement, un profond sentiment de malaise.
Leurs parents et grands-parents ont connu une croissance forte et qu'on imaginait infinie, la paix, une Europe qui rêvait son avenir dans un monde reconnaissant l'universalité de la raison, conçue comme synonyme de progrès technique et social et d'extension de la démocratie de marché. Bien sûr, cette génération a connu à partir de 1974 la première grande crise économique de l'après-guerre. Mais les progrès sociaux, les avancées de la construction européenne, la chute des régimes autoritaires méditerranéens contrebalançaient ces événements défavorables. Le progrès dispensait, croyait-on, de se poser la question de l'avenir de l'Europe.
Avoir entre 15 ans et 30 ans aujourd'hui, c'est être né au lendemain de ces conquêtes, au lendemain de l'euphorie d'une mondialisation qu'on croyait être à la fois la solution, l'aboutissement, mais aussi l'axe de convergence d'un progrès humain irréversible, universel et incontestable. Dégrisée, la jeunesse ne peut que constater que les générations précédentes lui laissent en héritage un monde dont l'environnement est menacé par une croissance non régulée, dont l'économie est déséquilibrée par une mondialisation financière incontrôlée et par une dette publique excessive. S'ajoute à ce constat un sentiment de déclassement, lié aux difficultés d'accès à un emploi de qualité, à un logement, sur fond d'une intense concurrence internationale ouverte à de nouveaux prétendants. Enfin, les élargissements successifs et la chute du mur de