Lettre d'Appolinaire à Lou
Il pleut. C’est pourtant rare dans la région. Je profite d’un court moment de répit au fond de la caserne pendant que les autres jouent aux cartes pour t’écrire. Je vais partir au front en Lorraine dans quelques jours. Qui sait ce qui peut se passer et je souhaiterais t’expliquer pourquoi t’écrire des poèmes et la poésie en général ont tant d’importance pour moi.
J’ai toujours considéré la poésie comme un art qu’il faut renouveler tout en gardant certaines traditions qui j’espère seront éternelles. La poésie doit et nous permet d’exprimer ses sentiments les plus profonds qu’ils soient heureux ou tristes. Avec vous je crains qu’il soit malheureusement des plus tristes. Je prône aussi une poésie plus indépendante, plus libre, moins contrôlée par des « règles » ou des conventions et guidée seulement par notre pensée. Que ça soit en prose où en vers ou des calligrammes ma poésie aura toujours pour but de m’exprimer, d’expirer ce qui me ronge, m’enflamme et me réjouit. Dans tous les poèmes que je vous ai adressés, seul un sentiment a dominé : amour. Mais si à travers cet amour c’est toute ma souffrance que je laisse paraitre c’est que j’en ai besoin. Oui j’ai besoin d’exprimer mes regrets, mon désespoir ; je ne sais si la poésie les atténuent, je ne sais si cela vous touche, je ne sais rien de cela. Mais je l’espère. Ma poésie est peut être la seule chose qui me donne un espoir, l’envie de me réveiller le lendemain et de me fixer des objectifs. Je m’étonne moi-même de mon comportement, très souvent angoissé par mes inquiétudes et mon passé, je m’étonne de ne pas me sentir si mal avant le départ au combat. Quand je regarde mes compagnons, jeunes pour la pluparts, errer dans la morne caserne regarder la pluie tombée, les yeux dans le vide d’un air terne je me dis que vous êtes ma chance. En effet ma poésie rime avec vous et cette merveilleuse, terrible passion qui, envers vous, m’habite Cependant il est difficile de mettre des mots sur l’amour que je vous