Liaisons dangerauses lettre 70
J’ai un avis important à vous donner, ma chère amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la maréchale de : on y parla de vous, & j’en dis, comme vous pouvez croire, non pas tout le bien que j’en pense, mais tout celui que je n’en pense pas. Tout le monde paraissait être de mon avis, & la conversation languissait, comme il arrive toujours quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu’il s’éleva un contradicteur ; c’était Prévan.
« A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de Mme de Merteuil ! mais j’oserais croire qu’elle la doit plus à sa légèreté qu’à ses principes. Il est peut-être plus difficile de la suivre que de lui plaire ; & comme on ne manque guère en courant après une femme d’en rencontrer d’autres sur son chemin ; comme, à tout prendre, ces autres-là peuvent valoir autant ou mieux qu’elle, les uns sont distraits par un goût nouveau, d’autres s’arrêtent de lassitude ; & c’est peut-être la femme de Paris qui a eu le moins à se défendre. Pour moi, ajouta-t-il (encouragé par le sourire de quelques femmes), je ne croirai à la vertu de Mme de Merteuil, qu’après avoir crevé six chevaux à lui faire ma cour. »
Cette mauvaise plaisanterie réussit, comme toutes celles qui tiennent à la médisance ; & pendant le rire qu’elle excitait, Prévan reprit sa place, & la conversation générale changea. Mais les deux comtesses de ***, auprès de qui était notre incrédule, en firent avec lui leur conversation particulière, qu’heureusement je me trouvais à portée d’entendre.
Le défi de vous rendre sensible a été accepté ; la parole de tout dire a été donnée ; & de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sûrement la plus religieusement gardée. Mais vous voilà bien avertie, & vous savez le proverbe.
Il me reste à vous dire que ce Prévan, que vous connaissez peu, est infiniment aimable, & encore plus adroit. Que si quelquefois vous m’avez entendu dire le contraire, c’est