Létranger, albert camus
Albert Camus: L'Étranger
« La porte du malheur »
L’étranger d’Albert Camus. Le cas Meursault
Mesdames et Messieurs, vous m’avez invité pour que je vous parle, au regard de mon expérience professionnelle, d’une oeuvre littéraire, qui se doit d’intéresser un détective, non seulement au point de vue culturel, mais aussi pour ainsi dire, au point de vue professionnel.
Nous nous trouvons en face d’un meurtre et d’un criminel mais n’avons pas de motif. Un procès apparemment absurde juge moins le crime commis que le comportement de l’accusé pendant l’enterrement de sa mère quelques jours auparavant. En fin de compte, il sera condamné à mort par la justice à cause de son manque de chagrin ce jour-là, alors que le lecteur, faisant quasiment office de juré, déclare intuitivement Meursault non coupable, bien que, malgré tout, celui-ci ait tué un homme. Le chercheur littéraire américain Roger Shattuck rend compte d’une pratique de lecture de l’Etranger avec ses étudiants sur une trentaine d’années. Leurs commentaires montrèrent « une grave erreur d’interprétation aboutissant à un aveuglement moral. Dans la plupart des cas, le crime demeure non évoqué et carrément omis.» Une empathie d’abord analogue du professeur se transforma seulement au bout de longues années en la conviction que « Camus exagère. Il sait et nous savons que Meursault a tué un homme et mérite une sanction. Pourtant nous ne saurons jamais exactement pourquoi il a commis ce crime. »
Mais peut-être devrions-nous être prudents en employant ici le mot « jamais ». Nous allons, en effet, découvrir aussi bien le motif du crime que la raison de notre sympathie pour un héros suspect, Mesdames et Messieurs, soyez-en sûrs !
Mais, me direz-vous, pourquoi donc Albert Camus n’a-t-il laissé tomber la moindre allusion sur ce point ? Il a bien souvent pris position sur son récit. Le détective n’a-t-il pas besoin d’un mandat de l’auteur pour mener à bien toute enquête criminalistique sur une de