Marivaux
Que veut dire ce galimatias ? Une âme, un portrait : explique-toi donc ! Je n'y entends rien.
SILVIA
C'est que j'entretenais Lisette du malheur d'une femme maltraitée par son mari, je lui citais celle de Tersandre que je trouvai l'autre jour fort abattue, parce que son mari venait de la quereller, et je faisais là-dessus mes réflexions.
LISETTE
Oui, nous parlions d'une physionomie qui va et qui vient, nous disions qu'un mari porte un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme.
MONSIEUR ORGON
De tout cela, ma fille, je comprends que le mariage t'alarme, d'autant plus que tu ne connais point Dorante.
LISETTE
Premièrement, il est beau, et c'est presque tant pis.
MONSIEUR ORGON
Tant pis ! Rêves-tu avec ton tant pis ?
LISETTE
Moi, je dis ce qu'on m'apprend ; c'est la doctrine de Madame, j'étudie sous elle.
MONSIEUR ORGON
Allons, allons, il n'est pas question de tout cela ; tiens, ma chère enfant, tu sais combien je t'aime. Dorante vient pour t'épouser ; dans le dernier voyage que je fis en province, j'arrêtai ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et mon ancien ami, mais ce fut à condition que vous vous plairiez à tous deux, et que vous auriez entière liberté de vous expliquer là-dessus ; je te défends toute complaisance à mon égard, si Dorante ne te convient point, tu n'as qu'à le dire, et il repart ; si tu ne lui convenais pas, il repart de même.
LISETTE
Un duo de tendresse en décidera comme à l'Opéra ; vous me voulez, je vous veux, vite un notaire ; ou bien m'aimez-vous, non, ni moi non plus, vite à cheval. Français Explication de texte n°6
I. Le titre du texte est La Jeu de l’amour et du hasard écrit par Marivaux et représentée pour la première fois le 23 janvier 1730. Sylvia, fille de Monsieur Orgon, craint d’épouser, sans le connaître Dorante, le jeune homme que son père lui destine, le passage se situe là. Elle décide de se déguiser et d’échanger son habit avec sa