Avec Micromégas publié en 1752, Voltaire reprend une idée qu’il a déjà utilisée dans un conte Voyage du baron de gangan qu’il avait offert à l’empereur Frédéric II de Prusse en 1739. Les deux histoires racontent le séjour sur Terre de deux « voyageurs célestes » (le baron, Micromégas), tous deux observateurs avertis dotés d’une formation scientifique et philosophique. L’auteur s’inscrit aussi dans une tradition française du récit fantaisiste : on pense à Rabelais (XVIe siècle) et ses géants (Gargantua, Pantagruel) ; on pense aussi à l’Histoire comique des Etats et empires de la Lune de Cyrano de Bergerac (XVIIe siècle) où le voyage sur la Lune et la rencontre du narrateur avec ses habitants débouchent sur des débats scientifiques et philosophiques entre le terrien et les « lunaires ». Mais le conte voltairien opère un changement de perspective : au lieu d’un voyage de la terre à la lune, il s’agit d’un voyage de Sirius vers la Terre. Fidèle à la technique du « regard étranger » déjà utilisée dans Les Lettres persanes de Montesquieu, Voltaire contraint son lecteur à voir la Terre et ses habitants à travers le regard d’un extra-terrestre, le géant Micromégas. Ce « décentrement » du regard garantit une distance critique qui mène à l’une des leçons de cette histoire : Les humains ne sont plus qu’un exemple parmi d’autres d’être pensants ; à la prétention humaine de tout connaître, il faut opposer la conscience de notre dimension infime au sein du cosmos. La narration fantaisiste, le conte merveilleux, se révèle une véritable « histoire philosophique », une sorte d’apologue, de fable, à travers laquelle l’auteur veut remettre en question nos idées reçues, nos