Misère et grandeur de l'homme
P.26 du Manuel
«L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant» Qu’est-ce que l’homme? L’infiniment grand et l’infiniment petit. L’homme apparaît ainsi comme «un milieu entre rien et tout», perdu dans l’univers infini que nous dévoile la science. Cet univers est désenchanté. «Son centre est partout et sa circonférence nulle part». L’homme est de toutes parts dépassé par la puissance énorme de la nature. Sa faiblesse est immense, ses sens sont limités, son corps est infirme. Il erre sur un milieu vaste, «toujours incertain et flottant», sans trouver de stabilité. Mais l’homme pense. C’est là sa grandeur. «Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.» Si l’univers peut écraser l’homme, l’homme est plus noble que ce qui le tue, car il sait qu’il meurt. Mi-corps, mi-esprit, l’homme n’est ni ange ni bête. Mais qu’il ne cherche pas à faire l’ange! Car «qui veut faire l’ange fait la bête». L’homme ne doit pas chercher à ignorer sa condition charnelle. Si la pensée nous distingue, nous ne devons pas en tirer vanité, car notre intelligence est faible. Aussi, bien penser, c’est d’abord regarder en face notre impuissance. Préjugés, illusions, principes incertains, fragilité des preuves – le scepticisme en un sens a raison: ce que nous savons le mieux, c’est que nous ne savons rien. Nous sommes soumis à des puissances trompeuses: l’imagination, d’abord, n’est pas une simple faculté de l’âme, comme dit Descartes, mais une puissance qui domine l’homme et se joue de la raison. «Maîtresse d’erreur et de fausseté», elle l’est d’autant plus qu’elle ne l’est pas toujours! Elle s’immisce dans toute notre vie, agit en nous, sans nous, et nous mène. Son pouvoir est celui des images, qui nous impressionnent plus que la vérité, toujours froide et abstraite: elle grandit les petites choses, amoindrit les grandes, nous détourne de l’essentiel, et nous attache à