Modernité du lieu commun
Modernité du lieu commun. En marge de Flaubert: Novembre
In: Littérature, N°20, 1975. pp. 32-48.
Citer ce document / Cite this document : Felman Shoshana. Modernité du lieu commun. En marge de Flaubert: Novembre. In: Littérature, N°20, 1975. pp. 32-48. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1975_num_20_4_2024
Shoshana Felman, Yale University.
MODERNITÉ DU LIEU COMMUN En marge de Flaubert : Novembre
Le moderne se contente de peu. Valéry, Cahier B, 1910 Car existe-t-il [...] quelque chose de plus charmant, de plus fertile et d'une nature plus positivement exci tante que le lieu commun ? Baudelaire, Salon de 1859 II est trop facile de dire ce que parait être un lieu commun. Mais ce qu'il est, en réalité, qui pourra le dire ? Léon Bloy, Exégèse des lieux communs
1. Ecrire, se taire II pourrait sembler paradoxal de parler d'une modernité du lieu com mun. En effet, quoi de plus opposé à l'idée de modernité que la répétition mécanique d'une formule toute faite, d'un langage stéréotypé ? La modernité ne consiste-t-elle pas dans la nouveauté, c'est-à-dire, dans une tentative de rompre avec les clichés du passé et d'échapper, autant que possible, à la mémoire culturelle ? Le lieu commun n'est-il pas, au contraire, la clôture même de cette mémoire dans ses pires automatismes, le sillon, à l'intérieur du langage, d'un déjà-lu, déjà-vu, déjà-dit? Comment la modernité peut-elle être associée avec la reproduction même de ce déjà ? Il pourrait sembler encore plus paradoxal d'attribuer la modernité du lieu commun à Flaubert. Ecrire n'était-il pas pour Flaubert, plus que pour tout autre, faire profession de rupture avec le lieu commun ? Flaubert n'a-t-il pas composé le Dictionnaire des idées reçues — « Apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces » — afin justement que, « une fois qu'on l'aura lu, on n'osât plus parler de peur de dire naturellement une des phrases qui s'y trouvent 1 » ? C'est dans une