Modernité et holocauste
Walter Benjamin l’avait prophétisé: "Il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie"[1]. Theodor Adorno l’a affirmé: "La Raison est totalitaire"[2]. Bauman le montre en analysant, en sociologue, les conditions culturelles qui ont rendu possible la Shoah. Adorno le disait en philosophe; Bauman le démontre en s’appuyant sur les travaux aussi solides que nombreux de la recherche historique spécialisée.
Dans Qu’est-ce que le nazisme?, Ian Kerschaw soulignait, pour le déplorer, une disproportion entre l’accumulation massive de données factuelles sur le IIIe Reich et l’intégration de ces résultats dans une synthèse générale[3]. Remarquant que rien ne permet de supposer qu’un événement semblable à Auschwitz ne pourra jamais se reproduire, il formulait ainsi la question fondamentale du nazisme dans l’histoire moderne: "comment un effondrement de la civilisation, aussi brutal et sans aucun précédent, a-t-il pu se produire dans un pays industrialisé, moderne et hautement développé?"[4].
Le travail remarquable de Zygmunt Bauman, d’abord publié en anglais chez Polity Press, en 1989, et dont les éditions La fabrique ont donné en 2002 une traduction partielle, ne prétend pas apporter du nouveau concernant les faits mais propose une interprétation d’ensemble du nazisme qui s’appuie sur la mise en cause de cette