Molière, « dom juan », acte i scène 2
Introduction
Au moment où commence ce long couplet lyrique, Don juan vient juste de faire sa première apparition sur scène et de surprendre les valets Gusman et Sganarelle, dont le dialogue savoureux nous a déjà donné une idée du héros et de sa conception de la vie. Cette entrée crée un effet dramatique et comique en confrontant le personnage principal à l’image qu’on a de lui à travers les valets. Sganarelle désapprouve la conduite de son maître qui vient d’abandonner sa femme Elvire. Pour se justifier, Don Juan expose avec brio sa philosophie de l’amour. Nous en étudierons d’abords le contenu, puis nous verrons comment cette philosophie exprime la personnalité du libertin, avant de montrer sa brillante maîtrise du langage.
Lecture
DOM JUAN: Quoi? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! Non, non: la constance n'est bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cours. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations