Montaigne, les essais, livre i, chapitre xxvi, commentaire composé
3075 mots
13 pages
« Qu'il lui fasse tout passer par l'étamine, et ne loge rien en sa teste par simple autorité, et à crédit. Les principes d'Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des Stoïciens ou épicuriens : Qu'on lui propose cette diversité de jugements, il choisira s'il peut : sinon il en demeurera en doute. Il n’y a que les fols certains et résolus. Che non men che saper dubbiar m'aggrada.Car s'il embrasse les opinions de Xenophon et de Platon, par son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les siennes. Qui suit un autre, il ne suit rien : Il ne trouve rien : voire il ne cherche rien. "Non sumus sub rege, sibi quisque se vindicet." « Que chacun s’affranchisse et se donne à soi-même : nous ne vivons pas sous un roi » .Qu'il sache, qu'il sait, au moins. Il faut qu'il s'emboive leurs humeurs, non qu'il apprenne leurs préceptes : Et qu'il oublie hardiment s'il veut, d'où il les tient, mais qu'il se les sache approprier. La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont non plus à qui les a dites premièrement, qu'à qui les dit après. Ce n'est non plus selon Platon, que selon moi : puis que lui et moi l'entendons et voyons de même. Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thym, ni marjolaine : Ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien : à savoir son jugement. Son institution, son travail et étude ne vise qu'à le former.Qu'il cèle tout ce duquel il a été secouru, et ne produise que ce qu'il en a fait. Les pilleurs, les emprunteurs, mettent en parade leurs bâtiments, leurs achats, non pas ce qu'ils tirent d'autrui. Vous ne voyez pas les épices d'un homme de parlement : vous voyez les alliances qu'il a gagnées, et honneurs à ses enfants. Nul ne met en compte publique sa recette : chacun y met son acquêt.
Le gain de notre étude, c'est en être devenu meilleur et plus sage. »
I. L’institution des