Moonfleet de John Meade Falkner : pistes et traces pour une autre lecture Christophe GELLY Université Blaise Pascal Si, lors de la première parution de Moonfleet en 1898 dans la collection “ Puffin ”, l’éditeur destinait cet ouvrage aux jeunes garçons de neuf ans et plus, il nous est loisible aujourd’hui de l’étudier dans une perspective un peu moins restrictive que celle de la littérature enfantine. Longtemps relégué dans la catégorie du pur divertissement, ce roman est désormais considéré, après certaines études, comme l’un des plus riches et des plus complexes des romans d’aventure anglais, au même titre que Treasure Island (1883) de Robert Louis Stevenson. Par ailleurs, l’étude de ce type de textes nous semble particulièrement adaptée à une recherche menée sur les rapports entre le poétique et le narratif, car l’imaginaire y prend un aspect fortement pictural propice, selon nous, à l’émergence de la fonction poétique. Cependant, la question majeure soulevée par l’analyse de ce texte n’est pas tant celle de la fonction poétique en elle-même, mais plutôt celle de sa mise en œuvre spécifique par le roman, notamment dans un cadre générique assez défini et qui ressortit à la fois au roman d’aventures et au récit initiatique. Où nous verrons que, derrière le jeu ou le divertissement, se cachent des préoccupations bien plus profondes sur l’écriture elle-même et sur son rôle face au référent et à l’absence du signifié. L’indécidable histoire Mais restons tout d’abord au niveau de la narration de l’histoire, puisque nous allons tenter de définir ses rapports avec la fonction poétique du texte. Moonfleet relate donc l’initiation d’un jeune orphelin de quinze ans, John Trenchard, élevé par sa tante, Miss Arnold, en 1757, dans un petit village côtier du Dorset qui donne son nom au roman. Intrigué par la légende locale, selon laquelle John Mohune, seigneur des lieux au siècle précédent, aurait caché dans la crypte de l’église un diamant dérobé par ruse et trahison à Charles