Multiculturalisme
Historien et philosophe, chercheur au CNRS, Tzvetan Todorov analyse les discours politiques sur l’immigration, en France comme en Europe. Et décrypte les contresens, les raccourcis et les non-dits que révèlent souvent les débats autour de ce sujet.
Entretien avec Luc Chatel
TC : Un recueil de vos textes sur le totalitarisme vient de paraître (1). Or les débats sur l’immigration donnent souvent lieu à des comparaisons avec le régime nazi ou la Collaboration. Comment percevez-vous cela ?
Tzvetan Todorov : Il m’arrive aussi de faire des rapprochements, parfois audacieux, qui peuvent déplaire à ceux à qui ils s’adressent. Mais dans le fond, je ne pense pas qu’il faille confondre ces deux situations.
Les déplacements de population et la xénophobie qu’ils peuvent susciter accompagnent l’humanité depuis qu’elle existe. Cela fait partie des données de base : les êtres humains se sont toujours confrontés à des groupes différents d’eux et les ont toujours plus ou moins acceptés. Mais cela n’est pas lié au régime politique dans lequel ils vivent.
Dans le cadre totalitaire qui m’est familier, celui des pays communistes avant la chute du mur, la question ne se posait pas vraiment. Les contacts avec les étrangers lointains, c’est-à-dire capitalistes, n’étaient pas autorisés. Quant aux étrangers voisins, c’est-à-dire des autres pays communistes, il était posé d’emblée qu’il s’agissait de nos frères ! Donc il n’y avait pas à choisir. D’un coté, le refus total, de l’autre, l’acceptation totale.
De plus, je crois que l’on ne peut pas dire que lorsqu’un pays maltraite les étrangers, il devient totalitaire. En tant qu’historien je préfère vraiment ne pas utiliser ces rapprochements.
La question totalitaire et celle de l’immigration sont des phénomènes distincts. Plus généralement, les pays totalitaires et les pays démocratiques ne se distinguent pas aussi clairement dans leur politique extérieure,