Norbert elias
Norbert Elias et l'effondrement de la civilisation : les Studien über die Deutschen
Olivier REMAUD Research Fellow de l’Alexander von Humboldt-Stiftung Septembre 2002
Centre Franco-Allemand de Recherches en Sciences Sociales Centre Marc Bloch Schiffbauerdamm 19 D-10117 Berlin (http://www.cmb.hu-berlin.de)
«En fait, le problème de la civilisation s'est présenté à moi comme un vrai problème personnel, lié au grand effondrement du comportement civilisé, à la poussée de barbarie, complètement inattendue, tout bonnement inconcevable, qui s'est déroulée sous mes yeux en Allemagne» (Studien über die Deutschen, 1992: 45) ?
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Toute réflexion sur l'expérience du présent doit certainement définir la notion d'intérêt afin d'expliquer l'objectivation du passé. L'historien n'est jamais un sujet neutre et désintéressé. C'est toujours son intérêt présent qui le conduit à s'engager dans le passé. Dans la mesure où l'intérêt actuel guide la recherche des faits passés, l'histoire peut être dite «contemporaine». Elle enseigne qu'il n'y a de véritable compréhension historique qu'à la condition de pouvoir retrouver des traits communs entre le passé et le présent (cf. Croce 1989). Mais les mutations accélérées des cadres sociaux et politiques du siècle dernier n'obligent-elles pas à briser la ligne continue que cet intérêt trace, le plus souvent de manière idéale, entre les multiples dimensions du temps collectif ? La logique de la mémoire contemporaine est-elle réductible au mécanisme de la conscience historique ainsi définie ? La récente sortie de l'âge des totalitarismes et de la guerre froide fournit l'occasion de redonner la parole à des mémoires communes qui semblaient condamnées au silence. Plus que jamais, la réflexion sur l'histoire doit prendre en compte la dimension qualitative, autrement dit «perceptive» et forcément «sélective», de la mémoire (Pomian 1999: 263-342). L'historien ne reconstruit pas que des faits. Il est régulièrement