Pagnol notes sur le rire
IRÉNÉE – Écoutez – supposez qu'un ingénieur ait inventé un nouveau canon, qui tire plus loin que les autres. Et au premier essai, ce canon tire par derrière, et l'inventeur qui surveillait le tir tout plein d'espoir et de fierté, reçoit l'obus dans l'estomac. Il tombe et il meurt. Eh bien, moi, mon canon tire à l'envers, je me sens plus triste que si j'étais mort !
FRANÇOISE – Votre succès va vous ressusciter.
IRÉNÉE – Et vous croyez que je vais accepter un succès de comique ! Ah non. Pouah !
FRANÇOISE – Mais pourquoi ?
IRÉNÉE – Faire rire ! Devenir un roi du rire ! C'est moins effrayant que d'être guillotiné, mais c'est aussi infamant.
FRANÇOISE – Pourquoi ?
IRÉNÉE – Des gens vont dîner, avec leur femme ou leur maîtresse. Et vers neuf heures du soir, ils se disent : "Ah, maintenant qu'on est repu, et qu'on a fait les choses sérieuses de la journée, où allons-nous trouver un spectacle qui ne nous fera pas penser, qui ne nous posera aucun problème et qui secouera un peu les boyaux, afin de nous faciliter la digestion ? "
FRANÇOISE – Allons donc ! Vous exagérez tout...
IRÉNÉE – Oh non, car c'est même encore pire: ce qu'ils viennent chercher, quand ils vont voir un comique, c'est un homme qui leur permette de s'estimer davantage. Alors pour faire un comique, le maquilleur approfondit une ride, il augmente un petit défaut. Au lieu de corriger mon visage, au lieu d'essayer d'en faire un type d'homme supérieur, il le dégradera de son mieux, avec tout son art. Et si alors j'ai un grand succès de comique, cela voudra dire que dans toutes les salles de France, il ne se trouvera pas un homme, si bête et si laid qu'il soit, qui ne puisse pas se dire : "ce soir je suis