Passage de Dom Juan : L'éloge du Tabac
Sganarelle, Gusman
Sganarelle, (tenant une tabatière)
Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non−seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez−vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au−devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son coeur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis−tu, sans le venir chercher ici. Veux−tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
Gusman
Et la raison encore ? Dis moi, je te prie, qui peut t'inspirer d'une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître ouvert son cœur là dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ?
Sganarelle
Non pas ; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que l'affaire va là je pourrois peut−être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières.
Gusman
Quoi ? ce départ si peu prévu seroit une infidélité de Dom Juan ? Il pourroit faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ?
Sganarelle
Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le