Peut-on tout démontrer ? (académie en ligne) « On prouve tout ce qu’on veut, écrit Alain, et la vraie difficulté consiste à savoir ce que l’on veut prouver ». Mais peut-on réellement prouver tout ce qu’on veut ? Et, à supposer que ce soit possible, cela ne rendrait-il pas toute preuve suspecte et vaine ? Mais si, comme le note Alain, « la vraie difficulté consiste à savoir ce que l’on veut prouver », et si la vraie démonstration, à la différence d’un procédé simplement rhétorique, est la démonstration de ce que l’on sait, peut-on démontrer tout ce que l’on sait ? Toute vérité est-elle donc démontrable ? Cela peut paraître impossible, car on irait alors, semble- t-il, à l’infini, mais comment renoncer à la démonstration sans renoncer à l’objectivité ? S’il n’y avait de démonstration que mathématique, il serait sans doute ridicule de prétendre que tout peut se démontrer : « Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien, qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour ; cela serait ridicule » (Pascal, fr. 298). Mais la démonstration peut également être rhétorique (Aristote, Rhétorique, I) et relever de l’art de persuader. Ne pourrait-on pas alors dire de la démonstration ce qu’Alain, visant la puissance de l’éloquence, dit de la preuve : que l’on peut démontrer tout ce que l’on veut ? N’est-ce pas ce dont Gorgias prétend être capable, lorsqu’il tente de convaincre Socrate de la puissance de la rhétorique, en lui montrant qu’aucun domaine ne lui échappe et que là où un médecin, par exemple, serait impuissant à convaincre ses patients de la nécessité de prendre un remède, la rhétorique y parviendrait : « Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste. Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! » (Platon, Gorgias, 456c).