Phèdre i, 3
Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie,
Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez qu'un même jour leur ravira leur mère,
Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère,
A ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce fils qu'une Amazone a porté dans son flanc,
Cet Hippolyte...
PHEDRE
Ah ! dieux !
OENONE
Ce reproche vous touche ?
PHEDRE
Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche ?
OENONE
Eh bien ! votre colère éclate avec raison :
J'aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc : que l'amour, le devoir, vous excite ;
Vivez, ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux.
Mais ne différez point : chaque moment vous tue.
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,
Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.
PHEDRE
J'en ai trop prolongé la coupable durée.
OENONE
OENONE
Quoi ? de quelques remords êtes−vous déchirée ?
Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?
Vos mains n'ont point trempé dans le sang innocent.
PHEDRE
Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plût aux dieux que mon coeur fût innocent comme elles !
OENONE
Et quel affreux projet avez−vous enfanté
Dont votre coeur encor doive être épouvanté ?
PHEDRE
Je t'en ai dit assez. Epargne−moi le reste.
Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.
OENONE
Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;
Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
Quoiqu'il vous reste à peine une faible lumière,
Mon âme chez les morts descendra la première ;
Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
Et ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle, quand ma foi vous a−t−elle déçue ?
Songez−vous qu'en naissant mes bras vous ont reçue ?
Mon pays, mes enfants, pour vous j'ai tout quitté.