POESIE
Adieu ! je crois qu’en cette vie
Je ne te reverrai jamais.
Dieu passe, il t’appelle et m’oublie ;
En te perdant je sens que je t’aimais.
Pas de pleurs, pas de plainte vaine.
Je sais respecter l’avenir.
Vienne la voile qui t’emmène,
En souriant je la verrai partir.
Tu t’en vas pleine d’espérance,
Avec orgueil tu reviendras ;
Mais ceux qui vont souffrir de ton absence,
Tu ne les reconnaîtras pas.
Adieu ! tu vas faire un beau rêve
Et t’enivrer d’un plaisir dangereux ;
Sur ton chemin l’étoile qui se lève
Longtemps encor éblouira tes yeux.
Un jour tu sentiras peut-être
Le prix d’un coeur qui nous comprend,
Le bien qu’on trouve à le connaître,
Et ce qu’on souffre en le perdant.
Alfred de Musset
Alfred de Musset Alfred de Musset a véritablement été l'enfant de son siècle. En intitulant l'un de ses poèmes Tristesse ou en contant la mort du désabusé Rolla, Musset n'a pas seulement exprimé sa souffrance, mais aussi celle de tous ces jeunes gens qu'on a excité avec des rêves de révolutions ou de gloire militaire, mais qui, en vérité, n'ont rien vécu d'autre que la réalité la plus plate. Plus que tout autre romantique, Musset a incarné l'effronterie et la fantaisie de la jeunesse. A vingt ans, il composait des pièces telle Venise ou cette Ballade à la lune dont on ne savait pas s'il s'agissait d'une œuvre du romantisme le plus pur ou, au contraire, d'une simple parodie. Mais bien rapidement le désenchantement s'est mêlé à la vivacité, et l'alcool, les mésaventures amoureuses et la maladie ont miné l'inspiration du poète. Pendant un temps encore, Musset réussit à faire de la douleur sa thématique préférée - il proclama avant Baudelaire une véritable esthétique de la souffrance, faisant même dire à sa Muse dans La Nuit de décembre que les plus désespérés sont les chants les plus beaux; mais il était dit que Musset n'était pas fait pour vieillir. Avant même d'avoir atteint sa trentième année, il avait donné les meilleures de ses œuvres. Bien sûr, de 1840 à 1857