Pour une theorie de la reproduction litteraire
[in : Comment la littérature agit-elle ?, Centre de recherches sur la lecture littéraire de Reims, Editions Klincksieck, Paris, 1994, p. 17-28.]
A la question : Comment la littérature agit-elle ? on répondra ici simplement : en se reproduisant. Mais qu’est-ce pour la littérature que se “reproduire” ? Et en quoi le processus de sa reproduction tient-il à sa nature même et aide-t-il à mieux la comprendre ?
Pour répondre à ces interrogations, il faut considérer d’abord les limites d’une théorie de la littérature comme pure production, et les contradictions insurmontables sur lesquelles celle-ci débouche inévitablement. Les réflexions bien connues présentées par Marx au sujet de la littérature et de l’art grec dans un fragment de son INTRODUCTION A LA CRITIQUE DE L’ECONOMIE POLITIQUE sont à cet égard symptomatiques. “La difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liées à certaines formes du développement social. La difficulté réside dans le fait qu’ils nous procurent encore une jouissance esthétique et qu’ils ont encore pour nous à certains égards la valeur de normes et de modèles inaccessibles.” (Marx, CONTRIBUTION A LA CRITIQUE DE L’ECONOMIE POLITIQUE, trad. fr. Husson et Badia, Paris, éd. Sociales, 1957, p. 175) Comment, en d’autres termes, des oeuvres qui ont été historiquement produites, en rapport avec un conditionnement social et idéologique déterminé, peuvent-elles susciter un intérêt transhistorique indépendant en apparence de cette situation temporelle ? Comment peut-on encore lire les poèmes homériques, dans des conditions qui n’ont plus rien à voir avec celles qui les ont engendrés ? Pour que cette question ait un sens, il faut que la littérature, et l’art en général, soient ramenés à des productions d’oeuvres, expressions matérielles de leur époque, qui paraissent de ce fait condamnées à disparaître avec elle. On connaît la solution esquissée