Pére goriot exposé
Une réunion semblable à la Pension Vauquer offrait en petit les éléments d’une société complète.
Parmi les 18 convives il se rencontrait, comme dans les collèges, comme dans le monde, une pauvre créature rebutée, un souffre-douleur sur qui pleuvaient les plaisanteries. Au commencement de la seconde année, cette figure devint pour Eugène de Rastignac la plus saillante de toutes celles au milieu desquelles il était condamné à vivre encore pendant deux ans. Ce souffre-douleur était l’ancien vermicellier, le père Goriot.
Le père Goriot, vieillard de 69 ans environ, s’était retiré chez madame Vauquer, en 1813, après avoir quitté les affaires. Il y avait d’abord pris l’appartement occupé par madame Couture, et donnait alors 1200 francs de pension, en homme pour qui donner 5 louis de plus ou de moins étaient une bagatelle. Madame Vauquer avait rafraichi les trois chambres de cet appartement moyennant une indemnité préalable qui paya, dit-on, la valeur d’un méchant ameublement composé de rideau en calicot jaune, de fauteuils en bois verni couverts en velours d’Utrecht, de quelques peintures à la colle, et de papiers que refusaient les cabarets de la banlieue. Peut-être l’insouciante générosité que mit à se laisser attraper le père Goriot, qui vers cette époque était respectueusement nommé monsieur Goriot, le fit-elle considérer comme un imbécile qui ne connaissait rien aux affaires. Goriot vient muni d’une garde-robe bien fournie, le trousseau magnifique du négociant qui ne se refuse rien en se retirant du commerce. Madame Vauquer avait admiré 18 chemises de demi-hollande, dont la finesse était d’autant plus remarquable que le vermicellier portait sur son jabot dormant deux épingles unies par une chainette, et dont chacune était montée d’un gros diamant. Habituellement vêtu d’un habit bleu-barbeau, il prenait chaque jour un gilet de piqué blanc, sous lequel fluctuait son ventre piriforme et proéminent, qui faisait rebondir une lourde chaîne d’or garnie