Je vous pose la question : qui n'a jamais été, à la lecture de L'étranger, littéralement ébranlé par ce personnage, hors normes, curieusement prénommé Meursault ? Contraction de mer-sol-soleil, ce seul nom pour l'un des personnages les plus célèbres de la littérature française, montre d'emblée toute l'ambiguïté de cette silhouette littéraire qui s'exprime tout au long du texte, à la première personne du singulier, tout en jouant sur un présent de l'indicatif qui annule toute distance dans le temps. Dans son "Explication de L'étranger", (Situation I), Sartre souligne l'un des aspects du rôle de Meursault : « le procédé de M. Camus est tout trouvé : entre les personnages dont il parle et le lecteur il va intercaler une cloison vitrée. Qu'y a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? il semble qu'elle laisse tout passer, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de l'Etranger. » En effet, dans le roman d'Albert Camus, les personnages n'ont pas d'histoire, aucune profondeur psychologique, pas même une identité complète. Meursault n'a pas de prénom. Des autres personnages nous ne détenons que trop peu de matière pour nous permettre de bien les connaître, encore moins pour les juger. Et c'est d'autant plus vrai pour Meursault lui-même.
Mais peut-on simplement dire que Meursault est un personnage ? Tout d'abord, ce roman étant écrit à la première personne, on pourrait croire que Camus ait délégué à Meursault lui-même son rôle de narrateur, se cachant derrière ; qui plus est, Meursault nous propose un récit qui prend, semble-t-il, l'aspect du journal intime. Un journal peut être tenu au jour le jour, ou écrit après le drame, afin d'en reconstituer l'histoire, à partir du premier événement qui sera retenu au procès, et qui n'est autre que la mort de sa mère.
L’absurde et l’infâme
Un premier événement qui a d'ailleurs une portée hautement symbolique : « Aujourd'hui, maman