Réflexions sur le travail
LE TRAVAIL :
● double pré-texte : poèmes de Victor Hugo (1802-1885) et d'Emile Verhaeren(1855-1916)
Saison des semailles, le soir
C'est le moment crépusculaire.
J'admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.
Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignée
La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main, et recommence,
Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Victor Hugo, Les Chansons des Rues et des Bois (1865)
Les Villes (extrait)
La rue-et ses remous comme des câbles
Noués autours des monuments-
Fuit et revient en longs enlacements
Et ses foules inextricables
Les mains folles, les pas fiévreux,
La haine aux yeux
Happent des dents le temps qui les devance.
A l'aube, au soir, la nuit,
Dans la tumulte et la querelle, ou dans l'ennui
Elles jettent vers le hasard l'âpre semence
De leur labeur que l'heure emporte :
Et les comptoirs mornes et noirs
Et les bureaux louches et faux
Et les banquets battent des portes
Aux coups de vent de leur démence.
Dehors, une lumière ouatée
Trouble et rouge comme un haillon qui brûle
De réverbère en réverbère se recule.
La vie, avec des flots d'alcools est fermentée.
Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées (1893)
Dans ces poèmes, on trouve deux visions opposées du travail : là où Hugo évoque une activité saine et juste (« le geste auguste du semeur »), Verhaeren parle de la monotonie du travail industriel (« dans l'ennui […] de leur labeur que l'heure emporte »).
Ainsi, Victor Hugo évoque ici le travail associé à la notion de plaisir,