Sphère réelle et sphère monétaire
Pour que la notion de mérite puisse continuer de justifier les inégalités socio-économiques, il faudrait que toutes choses soient égales par ailleurs, notamment au niveau de l’éducation que reçoivent les enfants et par rapport aux conditions qui leur permettent d’en bénéficier. (…) Sauf à envisager des mesures extrêmes telle que l’abolition pure et simple de l’héritage, voire de la famille, une concurrence non faussée entre les individus apparaît toutefois, de fait, impossible.
Cette impasse nous impose d'envisager une autre façon d'aborder ce problème; une façon qui supposera que référence soit faite, non plus exclusivement aux individus, mais à l'ensemble des membres d'une société donnée. Dans une telle perspective, l'inégalité sera évaluée en fonction de ce qu'elle apporte à la société ou de ce qu'elle représente pour elle.
L'ouvrage qui a, depuis les années 1970, le plus profondément contribué au renouvellement de la discussion théorique sur la justice sociale est sans conteste la Théorie de la justice [1971] du philosophe américain John Rawls. Dans ce livre fondamental, Rawls n'écrit évidemment nulle part que les individus n'ont absolument aucun droit sur le produit de leurs activités. Les efforts des individus doivent avoir un impact sur leurs situations sociales et l'exigence de coopération sociale est un élément de base de toute sa conception de la justice sociale qui permet en même temps de conférer à la notion de responsabilité individuelle une place significative. Comment, cependant, donner aux individus les moyens de s'élever dans l'échelle des revenus ou des patrimoines et d'améliorer leur niveau de vie sur un mode qui soit conforme aux règles de la justice ?
La solution proposée par Rawls se présente ainsi : les inégalités sociales et économiques - dès lors qu'elles sont attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à l'égalité équitable des chances - pourront