Ils se sont arrêtés au bord du fleuve, non loin de l'écluse dont la rumeur continue résonnait jusqu'à eux. C'était en plein midi. Il s'est assis sur le talus tandis que son ami entrait dans l'eau en y attirant le cheval. On n'entendait plus les moteurs et les cris de la ville, il n'y avait plus que le bourdonnement des eux de l'écluse et le froufrou léger du fleuve contre la berge. Le soleil brûlait si fort que les oiseaux avaient disparu. Il ne pensait plus à rien. Seulement il lui sembla que le paysage perdait ses contours, que les couleurs changeaient, s'intensifiaient dans la lumière de juillet : la robe noire du cheval, les vêtements noirs de l'homme allongé de l'autre côté de la crique, la chevelure noire de son ami brillaient et irradiaient des étincelles bleu, alors que le fleuve s'huilait et blanchissait de plus en plus tout en reflétant le fond du ciel. Là-bas, le long de l'écluse, luisante de teintes fauves et bondissante sous l'écume, l'eau se déversait plus d'un mètre en contrebas, métamorphosée sous les coups du soleil brut. On aurait dit qu'elle avait avalé avec colère toutes les couleurs du ciel et de la terre. De l'autre côté du fleuve, bien au delà du barrage, toutes petites dans l'horizon et pourtant encore un peu menaçantes, les tours des usines fumaient leurs sombres nuages de charbon. Il se rappela qu'autrefois, quand il était enfant, la plaine s'étendait de ce côté-là du fleuve, et qu'on allait s'y baigner le dimanche. C'était fini maintenant. Il aurait voulu pourtant que rien ne change. Les gestes de son ami soignant le cheval, le lavant dans l'eau fraîche du fleuve, lui-même entré dans l'eau jusqu'aux genoux pour l'accompagner, c'étaient les gestes de toujours, et le cheval, il en était sûr, comprenait cela, cette amitié de toujours entre l'homme et la bête. Il sentit qu'à sa gauche l'homme au chapeau de paille s'était redressé, avait cessé de lire et comme lui les regardait, le cheval et le jeune garçon : comprenait-il tout cela, lui aussi