Surveiller et punir
Michel Foucault, 1975 I. SUPPLICE Chapitre I : Le corps des condamnés Le livre s’ouvre sur la description de l’exécution de Damiens (2 mars 1757 pour tentative d’assassinat sur Louis XV). Il avait été condamné au bûcher après écartèlement1. On devait le torturer d’abord sur l’échafaud en lui enlevant des bouts de chair aux mamelles, aux cuisses et aux jambes avec des tenailles, puis en lui brûlant la main qui avait tenu le couteau et en jetant du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix de résine brûlante, de la cire et du soufre fondus. Ensuite, on allait l’attacher à des chevaux qui devaient lui arracher les quatre membres et son corps serait jeté au feu. Pour rendre la punition plus terrible encore, on jetterait ses cendres au vent. Mais tout cela, c’était la théorie. La réalité fut moins amusante. En effet, les chevaux ne parvinrent pas à l’écarteler et il fallut plusieurs heures pour y parvenir et se résoudre à découper les articulations jusqu’à l’os pour que les chevaux parviennent à emporter les membres l’un après l’autre. Il semblait vivre encore quand on prit le tronc pour le jeter au feu. Aujourd’hui, dit Foucault, « a disparu le corps comme cible majeure de la répression pénale ». Peu à peu, à la fin du XVIIIe et au cours du XIXe siècle, la punition cesse aussi d’être montrée aux foules ; elle n’est plus spectacle. Dans le « châtiment-spectacle », l’horreur était à la fois celle du condamné et celle du bourreau : honte pour le supplicié sans doute, mais jamais très loin de la pitié ou de la gloire, et infamie pour l’exécuteur. Au contraire, la Justice moderne va chercher à transmettre l’idée que l’essentiel n’est pas de punir mais de corriger, redresser, « guérir ». La prison intervient sur le corps bien sûr, mais il n’est là que comme intermédiaire : c’est la liberté de l’individu que l’on vise. La peine cesse progressivement d’être un spectacle et l’essentiel de cette transformation est acquis dans les années 1840 en France