Texte c : hamidou kane, l’aventure ambiguë
Fonctionnaire international (il a dirigé les services de l’Unicef à Abidjan), Hamidou
Kane s’est attaché à décrire la condition africaine dans L’Aventure ambiguë (1961) où le « métissage culturel » que connaît le jeune Noir, partagé entre les valeurs de
« l’islam noir » et celles de l’Occident, est vécu tragiquement. En des dialogues volontiers métaphysiques, l’écrivain souligne qu’« il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n’être pas deux ».
Un Africain – nommé Le Fou dans le roman – raconte sa première arrivée dans une grande ville européenne et l’angoisse qu’il éprouve devant un paysage inconnu. Il s’est assis sur une de ses valises dans le renfoncement d’une porte.
Un homme, passant à côté de moi, voulut s’arrêter. Je tournai la tête. L’homme hésita puis, hochant la tête, poursuivit son chemin. Je le suivis du regard. Son dos carré se perdit parmi d’autres dos carrés. Sa gabardine grise, parmi les gabardines.
Le claquement sec de ses souliers se mêla au bruit de castagnettes qui courait à ras d’asphalte. L’asphalte… Mon regard parcourait toute l’étendue et ne vit pas de limite à la pierre. Là-bas, la glace du feldspath14, ici, le gris clair de la pierre, ce noir mat de l’asphalte. Nulle part la tendre mollesse d’une terre nue. Sur l’asphalte dur, mon oreille exacerbéex, mes yeux avides guettèrent, vainement, le tendre surgissement d’un pied nu. Alentour, il n’y avait aucun pied. Sur la carapace dure, rien que le claquement d’un millier de coques dures. L’homme n’avait-il plus de pieds de chair ? Une femme passa dont la chair rose des mollets se durcissait monstrueusement en deux noires conques15 terminales, à ras d’asphalte. Depuis que j’avais débarqué, je n’avais pas vu un seul pied. La marée des conques sur l’étendue de l’asphalte courait à ras. Tout autour, du sol au faîte des immeubles, la coquille