Touroutou
C'est cela que donne à voir par la seule force de sa mise en scène maïeutique le film de Lumet. Pour cela je vais m'appuyer sur deux exemples tirés du film, à savoir des extraits mettant en scène le monologue de deux personnages. Le point commun à ces deux monologues est que les deux personnages dévoilent les a priori qui les empêchent de concevoir comme possible l'innocence de l'accusé. Ils n'essaient pas de comprendre ce qui s'est passé mais projettent sur l'événement leur propre grille d'explication du réel : dans le premier cas, c'est le statut social et ethnique de l'accusé (à savoir le fait qu'il soit pauvre et d'origine étrangère) qui constitue le biais perceptif du juré ; dans le second cas, c'est son statut familial et biographique (à savoir le fait qu'il s'agisse du fils plus ou moins obéissant d'un père plutôt violent). La mise en scène montre comment les deux jurés sont confrontés à la limite de leur propre discours et cela de deux façons différentes. On a deux cas bien distincts : premier cas, locked in, le personnage s'enferme dans son discours : il s'isole lui-même et est abandonné par les autres. Cet isolement de l'erreur montre a contrario le caractère intersubjectif de l'élaboration de la vérité. Deuxième cas : burst out, le personnage n'est plus enfermé en soi mais hors de lui ; il manifeste la violence de son rapport affectif à la réalité. D'un côté une projection intellectuelle, de l'autre une projection affective qui toutes deux empêchent de saisir la vérité et de voir la réalité. Par vérité, j'entends ici non pas une proposition se rapportant à un fait (par exemple le fait que l'accusé est innocent, car on le sait pas) mais une certaine qualité, une certaine vertu, à savoir la capacité à se détacher de soi et à se transformer pour épouser les contours mouvants de la réalité.
Le film nous montre l'élaboration commune de la vérité, entendue comme l'effort collectif de soumettre la