Tradition et modernité
Parues au tournant du XIXe siècle, Les Fleurs du mal vont influencer toute la production poétique ultérieure. Une telle postérité est due à la modernité du recueil, à son caractère prophétique. Or, si Baudelaire est considéré comme le premier des modernes, il est aussi le dernier des classiques. Les Fleurs du Mal, si originales soient-elles, doivent en effet beaucoup au classicisme, qui se lit d'abord dans le choix de l'alexandrin et du sonnet. Baudelaire est donc un auteur charnière, partagé entre passé et avenir ; cette ambivalence est perceptible dans l'usage qu'il fait des figures mythologiques et littéraires mais aussi dans son lexique, hétéroclite et disparate. Enfin, la modernité de Baudelaire réside au plus profond de son oeuvre, dans sa poétique et son esthétique. Elle vient tout d'abord de cette exploration obsédante de sa propre conscience, de cette expérience métaphysique qui conduit le poète à se prendre comme sujet de la poésie. Elle naît ensuite de la peinture de la ville et de ses artifices, de l'exaltation de l'univers urbain insolite. Elle dérive enfin d'un travail audacieux sur les comparaisons et les métaphores, qui annonce les tentatives ultérieures de Rimbaud ou de Mallarmé.
A. Une prosodie traditionnelle
II n'est pas besoin d'être perspicace pour constater que la proso¬die des Fleurs du Mal n'est guère audacieuse. Baudelaire est un versificateur certes accompli, mais très rarement novateur. Rimbaud, dans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, qualifie même la forme de ses poèmes de « mesquine ». Sans confirmer un tel jugement de valeur, il faut reconnaître que du point de vue formel, Baudelaire ne se démarque pas de la tradition. Il demeure fidèle aux « syllabes antiques » dont il exprime la nostalgie dans « La Muse malade » (7). Ses vers sont le plus souvent des alexandrins, des octosyllabes, des décasyllabes. Dans tout le recueil, on ne trouve des vers impairs que dans « L'Invitation au voyage » (53), « La