Témoignage et fiction
Le témoignage a longtemps été judiciaire, oculaire ou auriculaire avant d’être littéraire. Il est la déposition de ce à quoi on a assisté ou qu’on a entendu. Il s’agit, pour celui qui en est responsable, de reconstruire l’expérience à partir de ses souvenirs fragmentaires et de la partager ainsi avec la communauté.
Si sa transmission se faisait initialement à l’oral, le témoignage moderne est appréhendé dans une nouvelle perspective après la Première Guerre Mondiale : il devient plus littéraire que judiciaire. N’est-ce pas d’ailleurs le but de toute littérature que de laisser un témoignage ? Qu’il s’agisse de poésie, d’autobiographie ou de fiction, l’auteur témoigne de ce qu’il a vécu, senti, pensé et peut-être surtout qu’il a écrit. De nombreux récits pourraient être envisagés sous cette appellation. Derrida en établit une définition dans Demeure, Maurice Blanchot. Il propose une analyse de L’instant de ma mort, identifiant ainsi les composantes essentielles du témoignage. La complexité de ce genre repose notamment sur la relation qu’il entretient avec la fiction. Cette dépendance va pourtant à l’encontre de la finalité qu’envisage ce type de récit : la restitution de la vérité.
La littérature s’est adaptée à cette contradiction afin de rendre possible, voire crédible une représentation de la réalité grâce à la fiction. Les auteurs exploitent alors des subterfuges pour tenter de proposer une image de la vérité qui puisse être acceptable.
Dans True History of the Kelly Gang, Peter Carey restitue l’histoire du célèbre hors-la-loi australien Ned Kelly à travers des lettres dont ce dernier serait l’auteur. Le romancier cherche alors à rendre réelle sa fiction, ce qui n’est pas sans conséquence sur la fiabilité de son récit. Sa démarche est-elle strictement stimulée par la restitution de la vérité ou le témoignage en littérature n’a-t-il pas finalement des prétentions autres ?
I. Témoignage et fiction. Derrida précise