un barage contre le pacifique
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La Mère, elle, résiste, parce qu’elle ne peut renoncer à l’illusion coloniale. Même après l’échec des barrages – projet absurde en soi -, elle continue de se battre, de croire en l’impossible victoire contre tout un système, de « faire ses comptes de cinglée » (p. 138) comme le dit Joseph. Cependant, tout en étant sûre de son droit, elle aussi fait partie de ce même système, sans vraiment se l’avouer. Elle accepte le diamant (symbole de prostitution), les propositions de Barner, et elle-même est assimilée à une prostituée, mais vaincue : « une sorte de vieille putain qui s’ignorait » (p. 193). Cependant à la fin du roman, elle devient lucide, tout semble enfin s’éclairer, d’où l’ironie de son visage quand elle est morte (pp. 358) : la lucidité est donc la prise de conscience du tragique inéluctable.
Mais ce sont surtout Joseph, puis Suzanne qui, à partir d’un seuil de désillusion, font preuve d’une lucidité qui se manifeste par le fou-rire comme lors de la première soirée à Ram, ou, pour Suzanne, après le séjour à la ville (p. 203). Cette lucidité conduit à considérer l’argent comme une chose à se procurer à tout prix : pour Suzanne, M. Jo est fait pour en « extraire » (p. 13) de l’argent, pour prendre une revanche sur la misère (p. 139). Mais M. Duras pressent déjà la révolte, telle celle de Joseph renvoyant l’agent du cadastre (on retrouve l’idée d’éclat de rire), et incitant les paysans de la forêt à se révolter à leur tour, avec les fusils qu’il leur laisse.