un objet technique peut il être beau
En fait, les objets techniques ne sont pas directement beaux en eux-mêmes, à moins qu’on n’ait recherché un type de présentation répondant à des préoccupations directement esthétiques ; dans ce cas, il y a une véritable distance entre l’objet technique et l’objet esthétique ; tout se passe comme s’il existait en fait deux objets, l’objet esthétique enveloppant et masquant l’objet technique ; c’est ainsi que l’on voit un château d’eau, édifié près d’une ruine féodale, camouflé au moyen de créneaux rajoutés et peints de même couleur que la vieille pierre : l’objet technique est contenu dans cette tour menteuse, avec sa cuve en béton, ses pompes, ses tubulures : la supercherie est ridicule, et sentie comme telle au premier coup d’œil ; l’objet technique conserve sa technicité sous l’habit esthétique, d’où un conflit qui donne l’impression du grotesque. Généralement, tout travestissement d’objets techniques en objets esthétiques produit l’impression gênante d’un faux, et paraît un mensonge matérialisé.
Mais il existe en certains cas une beauté propre des objets techniques. Cette beauté apparaît quand ces objets sont insérés dans un monde, soit géographique, soit humain : l’impression esthétique est alors relative à l’insertion ; elle est comme un geste. La voilure d’un navire n’est pas belle lorsqu’elle est en panne, mais lorsque le vent la gonfle et incline la mâture tout entière, emportant le navire sur la mer ; c’est la voilure dans le vent et sur la mer qui est belle, comme la statue sur le promontoire. Le phare au bord du récif dominant la mer est beau,