Zola
- la permanence des passions et des ambitions, quelles que soient l'usure et les vicissitudes du temps, est tout aussi remarquable chez les personnages de romans. Le héros peut être défini par un vice implacable (l'avarice du Père Grandet), par une passion (la musique pour le Jean-Christophe de Romain Rolland), par la fidélité à un lieu même (la maison des Trembles pour le Dominique de Fromentin). Tous ces héros sont des modèles auxquels nous cherchons à nous identifier, alors même que nos personnalités sont soumises à mille influences et transformations.
- le manichéisme du roman : peu de fictions qui ne mettent en œuvre des forces antagonistes avec une netteté qui n'est pas celle de la vie. Ici encore, dans le roman, on est généreux, sublime, ignoble ou malheureux comme il n'est pas permis ! On peut prendre l'exemple de Gervaise dans L'Assommoir d'Émile Zola, roman réaliste pourtant, où tous le fléaux subis par la condition ouvrière se trouvent rassemblés sur le dos de ce personnage pour le rendre plus signifiant.
« Ce qui manque à chacun de mes héros, que j'ai taillés dans ma chair même, dit Gide, c'est ce peu de bon sens qui me retient de pousser aussi loin qu'eux leurs folies.» Ce qui leur manque : entendez, non ce qui leur fait défaut, mais ce dont l'absence même fait leur force et leur essence de héros de roman; car ce bon sens dont parle Gide et qui sépare le monde de la réalité du monde romanesque, c'est le sens du réel. Que ne ferions-nous si nous n'étions pas raisonnables ! Nous toucherions l'oreille du patron, comme Salavin, nous escaladerions la fenêtre de notre maîtresse, comme Julien Sorel, nous quitterions brusquement la maison paternelle, comme Bernard Profitendieu. Bref, nous vivrions dangereusement dans un monde où tout est possible, – si nous étions des héros de roman.
Guy Michaud, L'œuvre et ses techniques.
II. Le genre romanesque a la privilège de se contester lui-même dans ses