L'enfer est tout entier dans ce mot solitude
Nietzsche a choisi d'instinct la solitude, comme condition favorable à son épanouissement. C'est un choix pratique: il avait une recherche à poursuivre dont une femme et des enfants l'eussent détourné. Son éloge de la vie s'accomplissait paradoxalement en dehors de la société courante.
Rousseau fuyait le monde des hommes, mais il en emportait l'image dans sa tête, et continuait de se sentir harcelé loin d'eux. "Il a beau fermer la fenêtre de son ermitage qui regarde la capitale", nous dit Diderot, "c'est le seul endroit du monde qu'il voit". L'isolement chez lui était la quête éperdue d'un apaisement.
Quignard, aujourd'hui, vit en ermite. Il s'est construit une sorte de refuge intellectuelle avec les livres et les pensées qu'il aime. On peut y voir une fuite hors du monde, mais aussi la satisfaction d'un besoin de contemplation irrépressible, c'est-à-dire quelque chose de positif.
On décrit la misanthropie comme une disposition à fuir la compagnie des gens. Mais cette fuite, posée comme préalable, ne dit pas son but. Si elle n'entretient d'autres perspectives que la fuite elle-même, on peut l'estimer maladive - parce qu'elle est pure négation, elle consiste à se soustraire à tout sans adhérer à rien. Au contraire, il arrive parfois que la fuite ne soit que l'effet secondaire d'une pratique qui exige du calme. Celui qui aime dessiner, écrire, ou lire, n'est pas résolument misanthrope, mais laprésence des autres, surtout si elle est indiscrète et indélicate, peut le déranger. Celui-là ne fuit les hommes que dans la mesure où ceux-ci l'empêchent de mener à bien ses projets. Ce qui peut le rendre activement misanthrope, c'est justement de sentir qu'on lui refuse cette solitude