Dans le jeune homme, deux instincts se combattent comme chez les oiseaux : celui de vivre en bande et celui de s'isoler avec une oiselle, Mais le goût de la camaraderie est longtemps le plus fort. Si tout notre malheur vient, comme le veut Pascal, de ne pouvoir demeurer seul dans une chambre, il faut plaindre les jeunes gens : c'est justement la seule épreuve qui leur paraisse insupportable; ainsi les voyez-vous s'attendre, s'appeler, s'abattre sur les bancs du Luxembourg comme des pierrots, s'entasser dans les brasseries ou dans les bars. Ils n'ont pas encore de vie individuelle; ce sont eux qui ont dû inventer l'expression se sentir les coudes. La vie collective en eux circule par les coudes. Même pour préparer un concours, ils aiment être plusieurs; et si ce n'était que pour préparer un concours ! Leur noctambulisme vient de cette répugnance à se retrouver seul entre quatre murs. Aussi s'accompagnent-ils indéfiniment les uns les autres, et reviennent-ils sur leurs pas jusqu'à ce que l'excès de fatigue les oblige à dormir enfin. Comme la vie des moineaux en pépiements, celle des jeunes hommes se passe en conversations. Les promiscuités de la caserne, c'est cela au fond qui la rend supportable à la jeunesse. La camaraderie mène à l'amitié : deux garçons découvrent entre eux une ressemblance : « Moi aussi... C'est comme moi... » tels sont les mots qui d'abord les lient. Le coup de foudre est de règle en amitié. Voilà leur semblable enfin, avec qui s'entendre à demi-mot. Sensibilités accordées ! Les mêmes choses les blessent et les mêmes les enchantent. Mais c'est aussi par leurs différences qu' ils s'accordent : chacun admire dans son ami la vertu dont il souffrait d'être privé. Peut-être ont-ils aimé déjà; mais que l'amitié les change de l'amour ! Peut-être l'amour n'a-t-il rien pu contre leur solitude. Une fois assouvie la faim qu'ils avaient eue d'un corps, ils étaient demeurés seuls en face d'un être mystérieux, indéchiffrable, d'un autre sexe