L'émotion poétique de lionel ray
Les mots et l’émotion poétique[1]
Par Lionel RAY
La poésie doit éviter deux écueils. D’une part la complaisance dans l’expression des sentiments intimes sous prétexte de « sincérité » – c’est la « poésie subjective (…) horriblement fadasse[2] » que dénonce Arthur Rimbaud dans sa lettre dite du Voyant. En prise directe avec le vécu, les impressions suscitées par les circonstances, les sensations, les passions, les émotions. Avant Rimbaud, Flaubert dans ses lettres à Louise Collet stigmatisait les épanchements du cœur, tout sentimentalisme, toute sensiblerie, ces « méandres lamartiniens » à quoi il opposait l’idéal de l’impersonnalité. D’autre part, deuxième difficulté, une poésie totalement objective, celle si l’on veut qui serait en adéquation stricte avec la formule de Jacques Roubaud (ne serait-ce qu’une formule, mais je ne crois pas qu’elle ne soit rien qu’un jeu de mot) : « poésie : les mots sans l’émotion », comporte un risque évident de froideur, de sécheresse, sinon d’inhumanité. Francis Ponge, il est vrai aurait pu prendre le parti d’y souscrire sans réserve. Mais je ne vois pas que les poèmes de Roubaud les plus efficaces n’en appellent pas aux émotions, parfois poignantes, qui les ont fait naître. Non plus que les grandes œuvres qui sont dans toutes les mémoires, de Du Bellay à Apollinaire, de Baudelaire à Nerval ou à Verlaine, de Milosz à Claude Esteban, etc. Mais jusqu’où la présence du sujet est-elle souhaitable ? Est-elle compatible ou non avec l’émotion sans les dérives ou les facilités toutes conventionnelles d’un lyrisme débordant, dégoulinant, « fadasse » ? Le titre de Pierre Reverdy : Cette émotion appelée poésie[3] attire-t-il l’attention uniquement sur l’émotion esthétique, sur ce complexe d’émotions que suscite la virtuosité du poète, le travail formel ?
Le malaise des poètes
Une lecture rapide de mes livres de poèmes publiés entre 1971 et 2004 permettrait sans doute de faire le constat suivant : le terme