l'esprit scientifique
Rendre géométrique la représentation, c'est-à-dire dessiner les phénomènes et ordonner en série les événements décisifs d'une expérience, voilà la tâche première où s'affirme l'esprit scientifique. C'est en effet de cette manière qu'on arrive à la quantité figurée, à mi-chemin entre le concret et l'abstrait, dans une zone intermédiaire où l'esprit prétend concilier les mathématiques et l'expérience, les lois et les faits. Cette tâche de géométrisation qui sembla souvent réalisée - soit après le succès du cartésianisme, soit après le succès de la mécanique newtonienne, soit encore avec l'optique de Fresnel - en vient toujours à révéler une insuffisance. Tôt ou tard, dans la plupart des domaines, on est forcé de constater que cette première représentation géométrique, fondée sur un réalisme naïf des propriétés spatiales, implique des convenances plus cachées, des lois topologiques moins nettement solidaires des relations métriques immédiatement apparentes, bref des liens essentiels plus profonds que les liens de la représentation géométrique familière. On sent peu à peu le besoin de travailler pour ainsi dire sous l'espace, au niveau des relations essentielles qui soutiennent et l'espace et les phénomènes. La pensée scientifique est alors entraînée vers des « constructions » plus métaphoriques que réelles, vers des « espaces de configuration » dont l'espace sensible n'est, après tout, qu'un pauvre exemple. Le rôle des mathématiques dans la Physique contemporaine dépasse donc singulièrement la simple description géométrique, Le mathématisme est non plus descriptif mais formateur. La science de la réalité ne se contente plus du comment phénoménologique ; elle cherche le pourquoi mathématique.
Aussi bien, puisque le concret accepte déjà l'information géométrique, puisque le concret est correctement analysé par l'abstrait, pourquoi n'accepterions-nous pas de poser l'abstraction comme la démarche normale et féconde de l'esprit