Lorsque l'heure du départ approchait, le bateau lançait trois coups de sirène, très longs, d'une force terrible, ils s'entendaient dans toute la ville et du côté du port le ciel devenait noir. Les remorqueurs s'approchaient alors du bateau et le tiraient vers la travée centrale de la rivière. Lorsque c'était fait, les remorqueurs larguaient leurs amarres et revenaient vers le port. Alors le bateau encore une fois disait adieu, il lançait de nouveau ses mugissements terribles et si mystérieusement tristes qui faisaient pleurer les gens, non seulement ceux du voyage, ceux qui se séparaient mais ceux qui étaient venus regarder aussi, et ceux qui étaient là sans raison précise, qui n'avaient personne à qui penser. Le bateau, ensuite, très lentement, avec ses propres forces, s'engageait dans la rivière. Longtemps on voyait sa forme haute avancer vers la mer. Beaucoup de gens restaient là à le regarder, à faire des signes de plus en plus ralentis, de plus en plus découragés, avec leurs écharpes, leurs mouchoirs. Et puis, à la fin, la terre emportait la forme du bateau dans sa courbure. Par temps clair on le voyait lentement sombrer. Marguerite DURAS, L'Amant (1984). Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez, par exemple, — mais ces indications ne sont pas contraignantes —, étudier comment se mêlent description et évocation des sentiments. Vous serez particulièrement attentif aux moyens stylistiques employés par l'auteur. situer le texte Le texte est extrait de L'Amant (1984) qui a reçu le prix Goncourt. C'est un récit autobiographique relatant les souvenirs d'une adolescente qui s'initie à l'amour. A quinze ans, en traversant le Mékong sur un bac, l'auteur entrevoit dans une limousine un Indochinois qui deviendra son amant. Le texte, dans son ensemble, se présente comme une série, non linéaire, d'images et de moments qui semblent juxtaposés et liés par une conscience réflexive qui se penche sur un passé révolu. Marguerite Duras est