Y a-t-il des inégalités justes
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Ce limpide article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 recèle les plus redoutables difficultés. Par exemple, comment concilier l'égalité et les « distinctions sociales » ? Ne sommes-nous pas face à quelque chose d'aussi bizarre qu'un cercle carré ? S'il y a des distinctions sociales, il n'y a plus de place pour l'égalité ! Que veut dire ce principe d'égalité écrit au fronton de nos bâtiments publics ? Première hypothèse : toute forme d'inégalité est en soi injuste et la société doit se donner comme objectif premier de supprimer toutes les inégalités, notamment les inégalités de richesse qui deviennent les plus importantes et les plus insupportables dès lors qu'ont été abolies les inégalités dues à la naissance. Cette première hypothèse est souvent considérée comme irréaliste et potentiellement tyrannique. On verra ce qu'il en est. Deuxième hypothèse : le seul sens qu'ait le mot égalité dans le domaine social et juridique est « égalité de droits ». On doit s'en tenir là et pour le reste laisser jouer le jeu des inégalités naturelles et sociales librement. Entre ces deux hypothèses radicales, John Rawls (cf. Théorie de la justice, 1971) a tenté de construire une théorie des inégalités justes – le « principe de différence – comme complément nécessaire d'une conception politique fondamentalement égalitariste et libérale.
Si on prend au sérieux les idées de Hobbes, Locke et Rousseau, aucune inégalité ne pourrait être fondée en nature. On peut même affirmer, comme Rousseau le fait, que les inégalités n'ont pas d'autre fondement social, mais dans un mauvais état social. Non seulement, le contrat social n'est légitime que le citoyen conserve dans l'état civil autant de liberté qu'il en avait l'état de nature, mais encore faut-il que les différences naturelles ne