AntoineLeGrandLecteur
; puis tout d’un coup, par un singulier phénomène de mémoire, le même homme lui apparut moins gros, plus jeune, vêtu d’un uniforme de hussard. Il s’écria tout haut : « Tiens,
Forestier
!
» et, allongeant le pas, il alla frapper sur l’épaule du marcheur. L’autre se retourna, le regarda, puis dit :
– Qu’est-ce que vous me voulez, monsieur ?
Duroy se mit à rire :
– Tu ne me reconnais pas ?
– Non.
– Georges Duroy du sixième hussards.
Forestier tendit les deux mains :
– Ah ! mon vieux ! comment vas-tu ?
– Très bien, et toi ?
–
Oh
! moi, pas trop
; figure-toi que j’ai une poitrine de papier mâché maintenant
; je tous se six mois sur douze, à la suite d’une bronchite que j’ai attrapée à Bougival, l’année de mon retour à
Paris, voici quatre ans maintenant.
– Tiens ! tu as l’air solide, pourtant.
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Et Forestier, prenant le bras de son ancien camarade, lui parla de sa maladie, lui raconta les consultations, les opinions et les conseils des médecins, la difficulté de suivre leurs avis dans sa position. On lui ordonnait de passer l’hiver dans le Midi
; mais le pouvait-il
? Il était marié et journaliste, dans une belle situation.
–
Je dirige la politique à
La Vie Française
. Je fais le Sénat au
Salut
, et, de temps en temps, des chroniques littéraires pour
La Planète
. Voilà, j’ai fait mon chemin.
Duroy, surpris, le regardait. Il était bien changé, bien mûri. Il avait maintenant une allure, une tenue, un costume d’homme posé, sûr de lui, et un ventre d’homme qui dîne bien. Autrefois il était maigre, mince et souple, étourdi, casseur d’assiettes, tapageur et toujours en train. En trois ans Paris en avait fait quelqu’un de tout autre, de gros et de sérieux, avec quelques cheveux blancs sur les tempes, bien qu’il n’eût pas plus de vingt- sept ans.
Forestier demanda :
– Où vas-tu ?
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Duroy répondit :
– Nulle part, je fais un tour avant de rentrer.
–
Eh bien
! veux-tu m’accompagner à
La Vie
Française
,