Avant propos
Quoi mettre au pied du monument ?
En possession depuis janvier 1840 du titre magique de La Comédie humaine, Balzac hésite, et avec lui ses éditeurs, sur la nature de l'avant-texte qu'il convient de placer devant le grand ouvrage qui va sortir des presses d'Hetzel, à partir d'avril 1842. Quand, sur les conseils pressants de son éditeur, Balzac se dispose à prendre lui-même le rôle de préfacier, il esquisse d'abord, en juin 1842, une introduction de trois pages. Connaissant son homme, Hetzel l'a prévenu. Point de grands airs, ni de tambours intempestifs. Une entrée en matière sobre, classique, de manière à faire apparaître l'unité de l'ouvrage. Une préface « simple, naturelle, quasi modeste et toujours bonhomme, sans prétentions littéraires ou autres. Un résumé, une brève explication de la chose, écrite, signée par vous ce qui implique une grande sobriété et une mesure très grande, voilà ce qu'il faudrait » (Corr., IV, 464). Et voilà précisément ce que Balzac est incapable de faire. Car, bien qu'il revendique la modestie des grands écrivains classiques qui se jugeaient eux-mêmes dans leurs « examens », il se tiendra ici constamment sur les ergots du style sublime. Au lieu d'une gente préface, voici donc une grande « ouverture » aux accents beethovéniens. Et où Balzac tente de se saisir tout entier, sous le regard de l'Un. L'Avant-propos concerne l'oeuvre, non la poussière des textes ni les minuties de la vie. Négligeant même de justifier son titre, c'est de la continuité de sa ligne de conduite et de la fermeté de son « système » que Balzac veut persuader son lecteur. Désir ancien enfin réalisé : être non un homme mais un système, pour s'implanter « comme un cèdre dans une littérature de sables mouvants »…
Lui, romancier – c'est-à-dire en principe auteur de « légères fictions » (le roman reste classé bien bas dans la pyramide des genres) – , pris de surcroît dans les tracas vulgaires de la littérature