Belle du Seigneur, Albert Cohen
A lire ce début, ou simplement sur la foi de sa réputation, on pourrait croire que Belle du Seigneur est un grand roman d’amour. Il figure en effet sur de nombreuses listes des chefs d’œuvre littéraires consacrés à ce sentiment, à côté de Tristan et Yseult, Roméo et Juliette ou encore L’écume des jours. Mais que ceux et celles qui s’apprêtent à s’y plonger lisent d’abord ce qui suit pour ne pas avoir de mauvaise surprise :
D’abord, ce « roman » fait 1100 pages (éditions Folio poche). Non pas parce qu’il s’agirait d’une saga sur plusieurs générations, mais parce qu’Albert Cohen se laisse régulièrement entraîner dans des digressions baroques, des délires mythologiques ou encore déroule pendant plusieurs pages les monologues intérieurs de ses personnages (sans ponctuation pour mieux retranscrire le flux naturel de la pensée).
Outre cette petite difficulté, il faut savoir qu’il s’agit non d’un roman d’amour mais d’un roman sur l’impossibilité de l’amour, entendu comme « amour sublime », hors des atteintes du temps et des ravages du quotidien. On assiste bien aux débuts d’une passion – assez insolites, déjà, ces débuts, puisque Solal, encore inconnu d’elle, tente de séduire la belle Ariane en se grimant en vieillard édenté et en la surprenant dans sa chambre.
« En ce soir du Ritz, soir de destin, elle m’est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle et moi et nul autre en la cohue des réussisseurs et des avides d’importances, mes pareils d’autrefois, nous deux seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi