La figure de Carmen, la gitane étrange et fière, rieuse et tragique, est bien plus puissante et intrigante que le personnage de Don José. Bien qu'elle ne nous apparaît pas d'emblée dans la lecture du récit, il s'agit bien du personnage central. José se méfie d’abord de son «minois enjôleur», tandis qu’en proie à la jalousie il se sent guetté par «son grand œil noir» , image de l'exotisme espagnol dans le goût romantique. On peut voir dans le personnage une gitane dont la moralité est fondée sur l'unique loi du clan : celui qui n'est pas de son clan est son ennemi, un ennemi qu'elle dépouille, tue ou fait tuer, dans une banalité incroyable. Tous ses actes sortent de l'ordinaire : elle chante, danse, se moque, lit les lignes de la main, sait guérir les blessures, se livre à la contrebande et au vol. C’est que cette fille pauvre, cette sauvageonne qui cite beaucoup de proverbes, signe d'une intelligence assez fruste, pour échapper à la misère, prête son corps un instant, prépare des traquenards en bonne organisatrice. Elle veut de l’argent, mais pour le dépenser aussitôt, Et la preuve de l’amour qu’elle porte à José est qu’elle ne lui a «jamais demandé d’argent». Aussi cette femme de tête est-elle digne d’être le véritable « homme du couple ». Mais on décèle en elle un côté puéril qui fait que sa vie est faite d'instants successifs qui se détruisent au hasard de leur enchaînement et n'ont pour fondement que sa fantaisie. Elle ne se soucie pas des conséquences et se révèle asociale. Elle lâche la bride à tous ses désirs, n'obéit qu'à elle même et ne connaît d'autre loi que son caprice. Se montrant à l'aise dans le luxe comme dans la misère, elle est de passage partout, le monde n'étant que ce vaste bazar où il lui faut voler le plus possible, non pas pour le seul fait de posséder, mais plus pour dépenser sans compter, accumuler les folies, multiplier les plaisirs. Parmi ces plaisirs, il y a celui de la provocation sensuelle qu’en impudente et tentatrice, elle