CATGUT - Anna Gavalda
Au début, rien n’était prévu comme ça. J’avais répondu à une annonce de La Semaine Vétérinaire pour un remplacement de deux mois, août et septembre. Et puis le gars qui m’a embauchée s’est tué sur la route en revenant de vacances. Heureusement, il n’y avait personne d’autre dans la voiture. Et je suis restée. J’ai même racheté. C’est une bonne clientèle. Les Normands payent difficilement mais ils payent. Les Normands sont comme tous les belous, les idées, là- haut, une fois que c’est gravé… et une femme pour les bêtes, c’est pas bon. Pour les nourrir, pour les traire et pour nettoyer la merde, ça va. Mais pour les piqûres, pour les vêlages, pour les coliques et pour les métrites, faut voir. On a vu. Après plusieurs mois de jaugeage, ils ont fini par me le payer ce coup à boire sur la toile cirée. Évidemment, en matinée, ça va. Je consulte au cabinet. On m’apporte surtout des chats et des chiens. Plusieurs cas de figures : on me l’amène pour le piquer parce que le père ne peut pas s’y résoudre et que l’autre souffre trop, on me l’amène pour le soigner parce que celui-là, y donne bien à la chasse ou, plus rare, on me l’amène pour le vaccin et là, c’est un Parisien. Les galères du début, c’était l’après-midi. Les visites. Les étables. Les silences. Faut la voir au travail, après on dira. Que de méfiance et, j’imagine, que de moqueries par derrière. Ça, j’ai dû bien faire rigoler au café avec mes travaux pratiques et mes gants stériles. En plus, je m’appelle Lejaret. J’ai fini par oublier mes polycopiés et ma théorie, j’ai attendu en silence moi aussi, devant le bestiau que le propriétaire me crache des morceaux d’explication pour m’aider. Et puis surtout, et c’est ce qui me vaut d’être encore là, je me suis acheté des haltères. Maintenant, si je devais donner un conseil (avec tout ce qui s’est passé, ça m’étonnerait qu’on m’en demande) à un jeune qui voudrait faire de la rurale, je lui dirais : des muscles, beaucoup de muscles. C’est le plus