Commentaire extrait de "ville vivante" de j.m.g. le clézio
Le livre des fuites, 1969.
Ville de ciment et d'acier, murailles de verre s'élançant indéfiniment vers le ciel, ville aux dessins incrustés, aux sillons tous pareils, aux drapeaux, étoiles, lueurs rouges, filaments incandescents à l'intérieur des lampes, électricité parcourant les réseaux de fils de laiton en murmurant sa vibration doucereuse. Bruissements des mécanismes secrets cachés dans leurs boîtes, tic-tac des montres, ronronnement des ascenseurs montant, descendant. Halètement des vélomoteurs, cliquetis des soupapes, klaxons, klaxons. Tout ça parlait son langage, racontait son histoire de bielles et de pistons. Les moteurs vivaient, au hasard, enfermés dans les capots des automobiles, dégageant leur odeur d'huile et de carburant. La chaleur les auréolait sans cesse, montait des culasses brûlantes, se répandait dans les rues et se mêlait à la chaleur des hommes. Ville vivante. Les trolleybus glissaient sur leurs pneus, en gémissant continuellement. Le trolleybus numéro 9 longeait le trottoir, et à travers les vitres on voyait la cargaison de visages pareils. II dépassait un cycliste, il avançait sur la chaussée noire, on voyait les larges bandes des pneus s'écraser sur le sol avec un bruit d'eau. Le trolleybus numéro 9 avançait, portant dans son ventre les grappes de visages aux yeux tous pareils. Sur son dos, les deux antennes dressées couraient le long des fils électriques, s'inclinant, vibrant, crissant. De temps à autre, une boule d'étincelles jaillissait en claquant du bout des antennes, et on sentait dans l'air une drôle d'odeur de soufre. Le trolleybus numéro 9 s'arrêtait devant un pylône sur lequel était écrit « ROSA BONHEUR ». Les freins sifflaient, les portes se repliaient, et il y avait des gens qui descendaient à l'avant pendant que d'autres montaient à l'arrière. C'était ainsi. Puis le trolleybus numéro 9 repartait le long du trottoir portant dans son ventre la grappe d'œufs blanchâtres, en route vers