Critique de lecole des femmes
DORANTE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, ÉLISE, URANIE.
DORANTE.- Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière, qui depuis quatre jours fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris; et jamais on n'a rien vu de si plaisant, que la diversité des jugements, qui se font là-dessus. Car enfin, j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses, que j'ai vu d'autres estimer le plus.
URANIE.- Voilà Monsieur le Marquis, qui en dit force mal.
LE MARQUIS.- Il est vrai, je la trouve détestable; morbleu détestable du dernier détestable; ce qu'on appelle détestable.
DORANTE.- Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.
LE MARQUIS.- Quoi Chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce?
DORANTE.- Oui je prétends la soutenir.
LE MARQUIS.- Parbleu, je la garantis détestable.
DORANTE.- La caution n'est pas bourgeoise. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis?
LE MARQUIS.- Pourquoi elle est détestable?
DORANTE.- Oui.
LE MARQUIS.- Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.
DORANTE.- Après cela, il n'y a plus rien à dire: voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.
LE MARQUIS.- Que sais-je moi? je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant, Dieu me damne*; et Dorilas, contre qui* j'étais a été de mon avis.
DORANTE.- L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé.
LE MARQUIS.- Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait: je ne veux point d'autre chose, pour témoigner qu'elle ne vaut rien.
DORANTE.- Tu es donc, Marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? Je vis l'autre jour sur le théâtre un de nos amis qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce