Desnos-peste-début
La peste
Dans la rue un pas retentit. La cloche n’a qu’un seul battant. Où va-t il le promeneur qui se rapproche lentement et s’arrête par instant ? Le voici devant la maison. J’entends son souffle derrière la porte.
Je vois le ciel à travers la vitre. Je vois le ciel où les astres roulent sur l’arête des toits. C’est la grande
Ourse ou Bételgeuse, c’est Vénus au ventre blanc, c’est
Diane qui dégrafe sa tunique près d’une fontaine de lumière.
Jamais lunes ni soleils ne roulèrent si loin de la terre, jamais l’air de nuit ne fut si opaque et si lourd. Je pèse sur ma porte qui résiste…
Elle s’ouvre enfin, son battant claque contre le mur. Et tandis que le pas s’éloigne je déchiffre sur une affiche jaune les lettres noires du mot « Peste ».
Robert Desnos, C o n t r é e , © Éditions Gallimard, 1944.
Étude du mouvement du premier au second quatrain.
Le poème débute, à la manière d’un récit, par l’indication de lieu : “Dans la rue”. Mais l’espace ainsi proposé n’est perceptible que par la restitution sonore qu’en donne le vers à travers le bruit des pas : “un pas retentit” et le son d’une cloche “à un seul battant”. L’acuité de l’allitération en t du verbe “retentir”, reprise de façon très audible dans le mot ”battant” placé en rejet au début du vers suivant, produit une résonance particulière rendant la rue d’autant plus déserte et le silence plus pesant. Un processus narratif fondé sur l’attente et rendu très efficace par le présent de narration qui actualise l’instant, semble ainsi s’imposer et inciter le lecteur à se placer en état de veille. Mais le lecteur n’est pas seul à guetter ainsi. Il y a quelqu’un d’autre, une voix narrative (celle du locuteur) qui, cherchant à identifier la direction des pas, s’interroge : “Où va-t-il le promeneur qui se rapproche lentement et s’arrête par instant?” L’allitération en t, encore présente dans l’interrogative, restitue un rythme de marche.