Diderot-supplement au voyage de bougainville
Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur.
Procédés : interpellation, apostrophe, invective. Utilisation de l’impératif présent P2 (autorité morale du vieux Tahitien). Le tutoiement renvoie à la simplicité des mœurs tahitiennes marquées par l’égalité et la fraternité mais renforce aussi l’agressivité de l’apostrophe : Bougainville est personnellement mis en cause et accusé. Ce « tu » sera celui de l’accusation tout au long de l’extrait ; il s’oppose aux marques du pluriel de la première personne qui montrent la solidarité de la communauté tahitienne, qui se vit avant tout sur le mode collectif (par opposition aux « brigands » qui ne sont unis que par une somme d’intérêts matériels individuels). Avant même de l’être explicitement, l’accusation est déjà formulée par cette apostrophe qui donne le ton : les marins, représentants de la civilisation européenne, sont accusés implicitement de rapacité et de vol. Nous comprenons d’emblée que ce discours sera un réquisitoire, et la thèse en est formulée dès la première phrase (« tu ne peux que nuire à notre bonheur ») : elle va être développée dans le texte par une série d’arguments. Deux points après « rive » : utilisation de la parataxe, pour exprimer un lien de causalité («car nous sommes heureux…). Parallélisme de construction (« nous sommes » + adj. x 2) qui matérialise l’équilibre de la société tahitienne. Utilisation d’un vocabulaire péjoratif pour décrire l’action des nouveaux venus. L’hyperbate qui suit (« et…bonheur »), qui exprime une restriction (ne…que), suggère que ce qui est ajouté (les valeurs de la civilisation) est superflu et vient rompre cet équilibre.
Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère.
Il